Vieillir c’est vivre !

Interview de Raphaëlle Saudinos, auteure et interprète de la pièce :

« Vieillir, c’est Vivre ! » est une pièce de théâtre abordant les thématiques du « Bien vieillir », de la santé, de la prévention… Quelle est votre expérience par rapport à ces sujets ?

 Il y a une dizaine d’année, on m’a commandé un spectacle sur la maladie d’Alzheimer.
Prévu à l’origine pour cinq représentations, « Paroles d’Alzheimer »  a rencontré un public très nombreux : je l’ai joué près de 250 fois dans toute la France, dont deux étés au Festival off d’Avignon.
A l’issue de ces représentations, et au fur et à mesure des années, j’ai rencontré beaucoup de personnes concernées par ces thématiques, et ces rencontres m’ont nourrie artistiquement et humainement.
Sensibilisée à l’importance du rôle des aidants familiaux et professionnels, j’ai alors créé, en 2012, un nouveau spectacle musical, « Sur le fil… », qui leur rend hommage.
Pour ces deux créations, dont je suis auteure et interprète, mon expérience personnelle m’a également beaucoup apporté : nous sommes tous aujourd’hui, directement concernés par ces thématiques dans nos familles.

Les retraités sont les principaux concernés par la pièce. Comment s’adresse-t-on à ce public ? Y a-t-il une différence dans le travail d’écriture pour toucher cette catégorie de personnes ?

Il n’y a pour moi aucune différence entre cette écriture et celle d’un spectacle « tout public », parce que je m’efforce de ne pas ranger les humains dans des cases, et surtout pas en fonction de leur âge ou de leur condition sociale. J’ai de l’estime pour le public, quel qu’il soit. De plus, je pense que ces messages de prévention peuvent être utiles à tout âge, et j’ai moi-même beaucoup appris en travaillant sur ce projet !
Aussi mon exigence artistique est la même pour tous, ainsi que mon souci de réaliser d’abord et avant tout un « vrai » spectacle vivant de qualité, même si il y a un cahier des charges et des informations à faire passer.
Je ne pense pas qu’il faille se demander « comment plaire » en amont, mais qu’il faut essayer de travailler avec exigence et sincérité, et de nourrir ses idées avec les propositions d’autres artistes.
C’est la raison pour laquelle je me suis entourée d’une équipe artistique de qualité : musicien, acrobate, chorégraphe, directeurs d’acteur et comédiens sont tous des professionnels et se sont investis dans ce projet avec joie et énergie.
J’espère que ça se sent dans le résultat final, et que cela peut plaire à tous les publics, même s’ il y a des messages ciblés.

Spectacle du 04/12/21014 - Raphaëlle Saudinos

Quelle a été votre méthode de travail pour écrire la pièce ? (recherche documentaire, imprégnation du sujet, entretiens…)

 Dans un premier temps je me suis attelée à un vrai travail de documentation : « Bien vieillir pour les nuls », « Le nouveau guide du bien vieillir » etc, etc… Le sujet est à la mode et les publications ne manquent pas ! J’ai dû lire à peu près tout ! J’ai beaucoup appris…et aussi eu quelques fou-rires devant tant de dogmatisme !
J’ai ensuite réuni le maximum d’informations sur ces fameux ateliers de prévention, soit sur le net, soit en discutant avec des responsables et animateurs : c’était la partie la plus délicate, car il fallait tuiler la fiction à des informations précises et justes.
Ensuite j’ai laissé reposer tout ça, et j’ai cherché un point de vue synthétique, mon point de vue sur cette manière d’aborder l’avancée en âge.
Je me suis dis que les conseils c’était très bien, mais qu’au bout d’un moment le « mode d’emploi » du vieillissement c’était un peu infantilisant !
Avancer en âge et se retrouver dans la position de l’enfant à qui on dit « fait pas ci, fais pas ça », quel paradoxe !
Bref, j’ai eu envie de dire qu’il était essentiel de prendre soin de son outil, c’est à dire de sa santé physique et mentale, et il y a des « trucs » à connaître, mais l’essence des choses, c’est quand même le plaisir !
Et pour cela la convivialité des ateliers de prévention me paraît infiniment plus fertile que la lecture de conseils théoriques !

Pourquoi avoir choisi d’écrire une pièce burlesque ? Est-ce plus facile lorsqu’on aborde des thématiques sensibles comme la santé ou la prévention ?

Pour le plaisir, là encore ! Plaisir des acteurs et j’espère des spectateurs ! On peut faire passer beaucoup plus de choses quand on ne se prend pas trop au sérieux, et j’ai eu envie de planter les petites graines des bonnes résolutions au travers d’un vrai divertissement. Et puis je voulais aussi essayer de dire avec humour que toute la vie est tissée d’étapes, de crises et de remises en question qui font avancer, à chaque âge ses particularités certes, mais l’humour et la joie sont les armes absolues à tous les âges de la vie.

« Vieillir, c’est vivre ! » s’articule autour de nombreuses chansons. Quelle place donnez-vous à la musique généralement dans vos spectacles ? Quel sens donnez-vous à la musique dans « Vieillir, c’est Vivre ! » ?

Spectacle du 04/12/21014 - Raphaëlle Saudinos

La musique a toujours une place très importante dans mes spectacles.
Je me considère comme une interprète, c’est à dire quelqu’un qui transmet une parole, qu’elle soit dite ou chantée. La musique permet d’exacerber les émotions, la légèreté ou la gravité, et la réflexion est ainsi plus profonde, presque inconsciemment. La musique reste dans la tête, et les mots avec !
Il y a dans « Vieillir c’est vivre ! » deux chansons un peu plus graves, une sur le temps qui passe et l’angoisse qui peut en découler, l’autre sur la nécessité de transformer le plomb en or, c’est à dire d’essayer de garder le meilleur de chaque étape. La musique peut être une forme de pudeur pour convoquer la gravité avec délicatesse.
Et il y a aussi plusieurs chansons joyeuses, pour réveiller en chacun l’envie de chanter et même de danser !

Que veulent démontrer au public les deux personnages de la pièce ?

J’ai une grande tendresse pour ces deux personnages, ils font ce qu’ils peuvent  mais en vérité ils sont bien mal placés pour donner des leçons !
Thomas Levasseur et Marie Clément, dans leur vingtaine et leur quarantaine rament aussi pour accepter de bousculer leurs certitudes et se libérer de leurs angoisses ! Ils savent, ils savent… et en fait ils ne savent rien du tout face aux surprises de la vie, et c’est très bien comme ça !
Garder l’enthousiasme et la curiosité, sortir de l’isolement pour aller à la rencontre des autres, prendre le risque qu’il « nous arrive quelque chose », c’est rester vivant tout simplement, et c’est valable à tous les âges … à condition d’avoir la santé … Une fois ceci posé, on est peut être plus réceptif aux messages de prévention qui permettent de s’entretenir pour profiter de l’inattendu aussi longtemps que possible.

A la fin de la pièce, Thomas Levasseur déclare « Bien vieillir… ce serait l’idée révolutionnaire selon laquelle vieillir serait une chance, parce que vieillir, c’est vivre, tout simplement ! ». Que pensez-vous de cette assertion ?

Spectacle du 04/12/21014 - Raphaëlle Saudinos

Et il finit en disant : « …et bien vieillir, c’est en profiter ! »
Dans la mesure où je suis l’auteure… je dirais que c’est un peu le message principal que j’ai voulu faire passer !
J’ai été troublée de constater que le mot vieillir n’avait que des synonymes péjoratifs… Jusqu’à un certain âge on dit « grandir » et tous les apprentissages semblent possibles et tout soudain, disons à un âge un peu plus…certain, on dit « vieillir » et voilà que c’est le début de la fin ! Et ce, bien avant 60 ans !
Je crois qu’il faut résister à cela, et surtout dans nos sociétés où le vieillissement de la population est une réalité. Je ne fais pas d’angélisme : la maladie, l’isolement, la perte de l’autonomie sont des tragédies qui font que vieillir peut être une vraie souffrance. Et je sais de quoi je parle, vu mes spectacles précédents, plus graves. Mais ce n’était pas le propos de ce spectacle là. Là, il s’agit d’inciter le public à avoir la curiosité de sortir de son quotidien et de ses certitudes pour aller faire l’apprentissage d’une autre manière de vivre l’avancée en âge. Et faire cet apprentissage à travers des ateliers conviviaux, c’est à dire en profiter pour aller à la rencontre de nouvelles personnes.
Dans « Vieillir c’est vivre », il s’agit d’affirmer qu’on a besoin des autres pour évoluer, que l’on peut être débutant à tout âge, et même qu’il faut chérir l’enfant en soi. Qu’à tout âge, ça vaut la peine d’avoir le courage de sortir de sa « zone de confort ». Et tout ça, dans la vraie vie, pas seulement dans les livres ou devant un écran !
C’est une des clefs du regard des artistes sur le monde, et je crois que c’est en cela qu’un spectacle vivant peut être une excellente initiative pour ce genre de thématique.